L’entreprise correspond-elle à une forme d’organisation de la production qui a vocation à perdurer ?
Les développements de l’Internet conduisent à se poser la question. En effet, la production et la distribution de produits et services en ligne s’appuient sur des modes inédits de coopération entre individus. Elles ne supposent plus uniquement des procédures et une organisation clairement définies, mais plutôt sur des savoirs distribués, des modalités d’engagement diversifiés, des formes d’association non prescrites.
Cette émergence de nouvelles formes d’organisation n’est pas neuve. On a déjà souligné depuis longtemps les limites des modèles canoniques de l’entreprise industrielle. Les formes alternatives d’organisation restaient pourtant, jusque-là, essentiellement circonscrites à des activités particulières (sociales ou culturelles notamment).
Aujourd’hui, ces formes alternatives de structurations sociales – Open source, crowdsourcing ou User Generated Content – ne se limitent plus simplement à ces secteurs. Une mutation technologique majeure (les TIC, technologies de l’information et de la communication) accompagne des réorganisations industrielles profondes au bénéfice de la mobilisation des clients, de l’intégration des partenaires de l’écosystème et de la structuration hors de l’entreprise du réseau des différents contributeurs.
Les dynamiques aujourd’hui révélées par l’Internet s’appuient sur une double dynamique : elles traduisent une des préoccupations anciennes de la gestion : dépasser le cadre de l’entreprise en stimulant le travail en réseau. Mais elles changent d’ampleur par des TIC qui stimulent la coordination et le travail collectif autour de tâches à forte composante informationnelle et de création (simulation, communication distante, traitement de l’information, autoproduction).
Les réseaux sociaux et l’Open Innovation, qui se développent librement en dehors des entreprises, incitent à penser que les organisations industrielles n’ont pas pleinement répondu au besoin d’innovation, de flexibilité et d’échange… même quand elles ont cherché à instrumenter ces nouvelles modalités de travail dans leur cadre traditionnel. Les collectifs ouverts de coopération, autres que hiérarchiques, ne risquent-ils alors pas de se substituer demain à l’entreprise industrielle comme modèle dominant de « fabrique de la société » ? Dans ce cas, comme le montrent des travaux récents sur le sujet, ils n’en auront pas moins besoin de gouvernance et de management pour penser l’orientation stratégique et la structuration des nouveaux collectifs « libres ». La nature de la société produite demain par les nouveaux modes de travail et de production reste donc entière.

Pierre-Jean Benghozi
Polytechnique, Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École polytechnique, directeur du pôle « Recherche en économie et gestion » de l’École polytechnique, chargé de la chaire « Innovation et régulation des services numériques.