Intervention de Laurent Faibis le lundi 26 novembre 2012 en présence de Jean-Pierre Chevènement et d’Arnaud Montebourg
Le redressement productif par l’Iconomie
1- Messieurs les Ministres, j’aimerais m’exprimer sous ma double casquette, celle d’économiste, mais aussi celle d’entrepreneur… Cela fait probablement de moi un « oiseau rare », mais pas nécessairement un « pigeon », rassurez- vous. Je ne jouerai pas la partition de la PME plaintive, ni celle du petit patron paralysé par les obstacles sociaux et fiscaux.
2- Je connais cela. Mais je le surmonte aussi par un besoin impérieux d’entreprendre. Et surtout, je suis convaincu qu’il faut rompre aujourd’hui avec cette façon française de réformer en agitant l’épouvantail du déclin. C’est ma réaction critique face au rapport Gallois comme aux discours sur les chocs de compétitivité. Ce sont des réflexions qui restent focalisées sur les moyens. Ce qui manque, c’est une vision stratégique et mobilisatrice qui mette en perspective l’action publique, pour que la France demeure une puissance productive de premier plan.
3- Messieurs les Ministres, mon propos est nourri des analyses de Xerfi. Depuis 20 ans, nous décryptons les transformations de l’économie réelle. Cette compréhension est bâtie sur une connaissance fine des secteurs, plusieurs centaines analysées chaque année au plan français mais aussi au plan mondial. Je réfléchis aux avantages compétitifs de la France sur la base de ce matériau, mais également par introspection de mon expérience d’entrepreneur.
Il nous faut des PME et des ETI hyper-productives
1- Mon propos sera délibérément centré sur les PME et les ETI. Pour une raison principale. Les grands groupes qui opèrent à échelle mondiale ne sont ni le problème ni la solution centrale. Ce sont de grands vaisseaux qui voguent inexorablement vers le grand large et aucune autre chaîne que le dynamisme du territoire ne les retiendra durablement à leur port d’attache d’origine.
2- Ces grands groupes – enfin, la plupart d’entre eux – se débrouillent très bien tous seuls. Alors parlons des PME et des ETI. Pour faire simple je dirai désormais PME, sans chercher à les opposer aux grands groupes. Leur complémentarité, je dirais même leur symbiose est nécessaire à la stratégie de la France.
3- Les PME, elles, inscrivent profondément leurs racines et leur stratégie sur le territoire. Les PME productives investissent ici, elles emploient ici, elles paient des impôts ici. Elles se nourrissent du territoire national et du soutien des pouvoirs publics pour se développer. C’est pour cela que le développement et la croissance rapide des PME est cruciale. Plus de PME de qualité, c’est le facteur clé de la relocalisation de la valeur ajoutée productive et du rééquilibrage de notre commerce extérieur.
4- Ces PME ont besoin d’affronter et de conquérir un monde complexe. Il faut qu’elles deviennent les championnes de la productivité. Les grands groupes pratiquent l’optimisation mondiale des facteurs de production et de la fiscalité. Les PME n’ont rarement d’autres choix que de pratiquer l’optimisation locale des compétences et des investissements.
5- Si les PME ont été les grandes victimes de la globalisation, c’est que nous avons commis un contresens historique. Le sens de l’histoire c’est de substituer du capital au travail pour renforcer notre productivité. Or nous avons fait tout le contraire. La mondialisation a accru la substitution du travail peu qualifié au capital, quitte à utiliser des combinaisons productives obsolètes. C’est d’ailleurs ce qu’ont préconisé des cabinets de conseil prestigieux. Lisez donc le livre « Globality » publié en 2008 par des experts du Boston Consulting Group. C’est édifiant !
6- La France a aggravé cette erreur en multipliant sur le territoire les incitations fiscales et sociales en faveur du travail faiblement qualifié. Elle a découragé l’investissement dans les technologies les plus modernes ; elle a détourné du système productif et de l’économie réelle une large partie de nos meilleures compétences. En conséquence, les grands groupes ont délocalisé. Quant aux PME indépendantes, elles ont sous-investi.
7- Nos PME doivent devenir les championnes de la créativité, de la compétence, de la productivité, de la qualité, du service au client. Il faut donner au tissu de PME les moyens de se révolutionner. N’ayant ni le bénéfice des économies d’échelle, ni celui du pouvoir de marché, il est impératif qu’elles soient à la pointe du progrès.
8- Je suis convaincu qu’il faut d’abord donner à nos PME les moyens de concevoir, d’investir et de révolutionner leur système technique et d’information. Ce big bang des systèmes d’information est la clé de tout. Il conditionne la gestion optimale des collaborateurs, des produits, des services, de l’information entre unités, la qualité de la relation avec les fournisseurs, la qualité de relation avec le client en France et dans le Monde.
9- Cette dimension est essentielle. C’est elle qui permet d’adapter l’offre au plus fin, d’entrer dans une co-conception, voire co-production en partenariat avec le client. Nous avons quitté le monde fordiste de la production de masse, pour entrer dans l’ère de l’innovation continue, de la relation et de la précision.
10-La conception et la maîtrise des systèmes d’information est un enjeu terriblement complexe pour les PME, comme pour les grandes entreprises d’ailleurs. Mais les dirigeants des PME ont besoin d’être conseillé par des experts indépendants de haut niveau. Ils doivent pouvoir utiliser les meilleures compétences. Des compétences trop souvent vampirisées par les grandes entreprises, les établissements financiers et l’Etat. L’accès à ces compétences est pour elles problématique. Pas facile de les recruter, pas facile de les rémunérer. Je pense que la puissance publique doit pouvoir les épauler.
11-J’insiste sur ce point : l’un des principaux leviers du rebond productif, c’est notre capacité à produire et faire grandir à flux continue de nouvelles PME ambitieuses. Des PME dotées de compétences et d’une productivité exceptionnelle.
Il faut passer à la réalité hyper-industrielle, à l’industrie servicielle
1- L’idéologie post-industrielle d’une économie sans usine nous a trop longtemps intoxiqué. L’opposition formelle entre industrie et services nous a masqué l’imbrication profonde de l’industrie et des services.
2- En réalité, nous sommes entrés de plein pied dans une ère hyper-industrielle. L’automatisation, la numérisation, l’informatisation, la robotisation seront le tremplin de notre redressement productif.
3- Cette hyper-industrialisation dépasse très largement le périmètre de l’industrie manufacturière stricto sensu. Ce qui compte c’est de produire là où l’on peut créer de la valeur, là où l’on peut gagner en productivité, là ou l’on peut gagner en innovation et en qualité.
4- Le nouveau système productif évolue vers une « industrie servicielle » où la frontière entre biens manufacturés et services est effacée. Les technologies de l’information permettent l’assemblage de bouquets de biens et services ajustés avec précision à la demande.
5- Ainsi, l’avantage est aux entreprises qui savent organiser efficacement ces produits hybrides, complexes et diversifiés. L’avantage est surtout à celles qui pensent la profitabilité dans la durée, comme savent déjà le faire les constructeurs d’avions ou d’ascenseurs. Les entrepreneurs doivent concevoir la création de valeur sur l’ensemble de la durée de vie d’un produit : cela veut dire de sa conception jusqu’aux services qui accompagnent son usage et sa maintenance.
6- Notre défi, c’est l’impératif hyper-industriel ! Notre défi c’est de bâtir cette hyper-industrie nationale pour rééquilibrer notre commerce extérieur. Faire rebondir notre tissu productif doit d’abord être une stratégie technologique et capitalistique. Une stratégie qui exige une grande disponibilité des expertises et des compétences indispensables à cette mutation.
7- Oui, on peut faire revenir les usines. Mais il va falloir affronter une réalité sociale : on fera revenir les usines, mais pas les ouvriers. Dans les usines et les bureaux, le travail répétitif à faible salaire est amené à s’effacer. C’est une condition incontournable pour localiser en France la valeur ajoutée et redevenir compétitifs. Les nouveaux emplois seront créés dans des entreprises hyper-modernes, hyper-industrielles, hyper-productives. Et c’est par déversement de cette valeur ajoutée que se créeront des emplois dans l’ensemble de l’économie.
8- Il faut également cesser de rêver de secteurs porteurs ou de nouvelles filières d’entrainement. Le redressement ne se résume ni aux industries de l’environnement, ni aux énergies nouvelles, ni au numérique, ni aux nanotechnologies, ni à aucun autre secteur high tech. Tout secteur peut devenir hyper-industriel et hyper-compétitif à condition d’investir dans le capital humain et les technologies les plus performantes. Ce sont nos modes d’actions, nos institutions, nos régulations qui doivent être repensées pour tirer parti des changements techniques qui sont là, sous nos yeux.
Il faut passer de l’économie à l’Iconomie
1- Il faut prendre toute la mesure de la mutation qui se dessine et dans laquelle les entrepreneurs doivent jouer un rôle moteur. Il faut remettre de la passion dans le système. Il nous faut une vision stratégique. Une vision qui ambitionne de replacer l’économie française au premier rang en jouant le coup d’après et pas celui d’hier. Mais pour cela, il nous faut penser la rupture et la rendre intelligible, en faire un facteur de mobilisation.
2- Cette mutation n’est pas seulement de nature technologique. C’est une révolution industrielle, sociale et institutionnelle. Il nous fallait néologisme pour désigner cette nouvelle société que fait émerger l’informatisation et l’Internet. Nous l’avons baptisée Iconomie. Cette Iconomie embrasse toutes les dimensions de la société, ses infrastructures comme ses superstructures.
3- L’iconomie s’appuie sur deux piliers, l’un technique, l’autre anthropologique :
- un pilier technologique lié à la montée en puissance exponentielle des microprocesseurs, des logiciels et des réseaux.
- un pilier anthropologique, qui est en interaction avec le pilier technologique : c’est la mise en réseau de toutes les organisations, toutes les personnes et de tous les objets, le passage d’organisations pyramidales à des organisations foisonnantes et interconnectées. Cela va impacter la production de biens, leur maintenance et leur utilisation, la mise en œuvre des services, la consommation.
4- L’Iconomie catalyse les logiques d’interaction et d’intelligence partagée. L’Iconomie permet, non seulement des bonds de productivité, mais aussi des bonds de créativité en favorisant le regard neuf et la transgression. C’est par l’Iconomie que nous donnerons une nouvelle vigueur au « made in France ».
5- Pour conclure : il faut sortir de la problématique du rattrapage et de l’imitation de modèles étrangers. L’Iconomie française doit puiser sa vitalité dans l’aventure entrepreneuriale. Passer de l’économie à l’Iconomie, c’est donner à notre pays un objectif stratégique. Epauler les PME et les ETI dans cette mutation, c’est enraciner cette révolution dans le territoire.
Michel Volle
Michel Volle (Polytechnique - ENSAE) économiste, a été responsable des statistiques d'entreprise et des comptes nationaux trimestriels à l'INSEE puis chief economist au CNET (Centre Nationale d'Etudes des Télécommunications) avant de créer des sociétés de conseil en système d'information. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages.