Pendant les trois siècles du XIe au XIIIe, on assiste à une nouvelle éclosion de l’Europe après les reculs des siècles précédents. Les menaces extérieures se dissipent, les routes redeviennent praticables. La productivité agricole augmente grâce à des outils plus nombreux et plus efficaces (les pelles, bêches, araires sont ferrés, les herses apparaissent, le collier de cheval et le moulin à eau se répandent). On assiste à une augmentation des terres cultivées et de la population.

Avec le renouveau urbain et commercial, les villes reviennent au centre de l’histoire européenne. Alors que les cités antiques étaient plus des lieux de consommation que de production, les villes de cette époque sont des centres de production, de commerce, d’échanges intellectuels. L’invention de l’imprimerie par Gutenberg vers 1440 (caractères mobiles) conduit à la première Bible à large diffusion relative vers 1455. On passe d’une offre de 120 manuscrits par an au XVIe siècle à 20 millions de livres imprimés en 1790.

Si le XIVe siècle casse cet essor, il reprend pendant les quatre siècles suivants du XVe au XVIIIe siècle. La révolution copernicienne intervient en 1543, les principes philosophiques de Descartes en 1644 et les principes mathématiques de Newton en 1687 : c’est le triomphe de la raison, de la science, notamment la science expérimentale qui permet l’essor des technologies.

Progressivement se met en place un nouvel équilibre des puissances autour des États-nations. Après le partage de l’empire de Charlemagne en 843, les conflits incessants freinent le développement économique et social. Il faut attendre la paix d’Utrecht pour trouver un nouvel équilibre entre la France, le Royaume-Uni et l’Espagne : les traités d’Utrecht (1713-1715) mettent fin à la guerre de Succession d’Espagne. Philippe V conservait la couronne d’Espagne mais renonçait à celle de France. L’intégrité du territoire français était préservée mais Louis XIV abandonnait plusieurs places (Tournai, Ypres, etc) aux Provinces Unies, il reconnaissait la succession protestante en Angleterre et l’Électeur de Brandebourg comme roi de Prusse. L’Angleterre recevait d’importantes bases maritimes (Gibraltar, Minorque, Terre-Neuve, Acadie).

La peste bubonique du XIVe siècle réduit la population européenne d’un tiers (25 millions de personnes), conduisant à une rareté relative de l’homme par rapport à la terre ce qui libère progressivement les paysans des servitudes passées. D’autant plus que les progrès des techniques militaires (notamment les canons entre 1450 et 1550) réduit l’intérêt des châteaux forts. Le pouvoir royal peut seul assurer la sécurité collective. Le féodalisme recule rapidement après la Grande Peste (1346-1353) puis la fin de la Guerre de Cent Ans (1337-1453) entre la France et l’Angleterre pour des raisons économiques et militaires. En France, à partir d’Henri IV, l’affermissement du pouvoir royal et le rétablissement de la paix extérieure (traité de Vervins, 1598, fin de la guerre franco-espagnole) et de la paix religieuse (Édit de Nantes de 1598), permet un nouvel essor économique.

A partir de 1500, à l’ouest de l’Elbe, les paysans sont libres, peuvent se marier légalement et devenir propriétaires de leurs terres. La justice royale protège les paysans. A partir de 1650, l’État devient progressivement le seul détenteur de la violence légale (Hobbes, Léviathan, 1651). A partir de 1750, la propriété des biens devient effectivement une valeur politique et philosophique, un des fondements de la liberté des personnes (après Locke, Essai sur l’entendement humain, 1690, et Lettres sur la tolérance, 1689). L’équilibre des pouvoirs (Montesquieu, De l’Esprit des Lois, 1748) sera au fondement des révolutions politiques libérales en France (1789) et aux États-Unis (Constitution de 1787).


Loi de Malthus

La peste bubonique du XIVe siècle tue un tiers de la population européenne. Cette rupture contribue à la fin du féodalisme car l’homme devient relativement plus précieux que la terre et on le concentre sur les terres les plus fertiles ce qui permet une hausse de sa productivité. La population agricole libérée migre vers les villes. Mais on retrouve en 1600 les niveaux de population de 1350 alors que la Guerre de Trente Ans (1618-1648) introduit la dysenterie, le typhus, la variole et la peste. La Guerre de Trente Ans fut un conflit religieux et politique qui ravagea l’Europe et le Saint-Empire lié aux antagonismes entre Catholiques et Protestants et aux ambitions de la Maison d’Autriche. Les victoires de Rocroi (1643) puis Lens (1648) amenèrent les Habsbourg à signer les traités de Westphalie. L’Allemagne sortit ruinée et dévastée de ces trente années de guerre.

La famine frappe régulièrement les populations, par exemple en France entre 1628 et 1638, de 1646 à 1652, puis on eut la grande famine de 1693-1694. La France est à nouveau pauvre. Pourquoi ? Malthus répond dans son Essai sur le principe de population de 1798 que quels que soient les progrès réalisés dans les arts et les techniques, le revenu des habitants ne peut pas progresser car dès que le revenu global augmente, la population augmente davantage encore, ce qui conduit à une pénurie de nourriture qui brise l’essor de la population, faute de terres disponibles.

En fait, le salaire journalier stagne entre – 1800 avant notre ère et + 1800 avec des variations selon les lieux et les époques. Certes, on importe des produits nouveaux comme les épices, le sucre, le thé et le café, les pommes de terre ou la tomate, mais pour l’essentiel la population se nourrit de pain avec un petit complément de viande (bœuf, mouton, volailles, gibier) ou fromage. Au total, Malthus montre que la production agricole est soumise à la loi des rendements décroissants : plus il y a d’hommes et plus on cultive des terres marginales et plus la productivité baisse. C’est l’origine de la rente foncière, c’est-à-dire le sur-revenu qui échoit aux propriétaires des meilleures terres par rapport à la terre marginale qui fixe le prix du pain.

Ainsi, le bon gouvernement qui conduit à l’augmentation de la population amènera le malheur alors que les vices (guerre, violence, mauvaise vie) réduisent la population et améliorent le sort des survivants. (D’où Daniel Cohen : La prospérité du vice, Albin Michel, 2009). Si la majorité de la population ne vit pas mieux au XVIIIe siècle que trois mille plus tôt, le plus grand nombre d’habitants permet l’enrichissement d’une petite classe dominante et les fastes des rois. Surtout, selon cette loi sinistre qui fonderait une science sinistre (the dismal science), le travail ne paie pas car l’ouvrier de 1800 ne survit qu’en travaillant dix heures par jour, trois cents jours par an, alors que les chasseurs cueilleurs survivaient en travaillant deux ou trois heures par jour (mais ce ne sont pas les mêmes nombres de population… quelques millions en moins 10000, contre un milliard en 1800).


Que change la révolution industrielle ?

Au milieu du XVIIIe, la machine à vapeur de James Watt, (qui améliore l’invention de Denis Papin qui a réalisé un prototype de machine à vapeur à piston en 1690), inventé pour pomper les mines, va avoir de multiples autres usages. Améliorations de Watt à la machine à vapeur (condenseur en 1769, action alternative de la vapeur sur les deux faces du piston en 1780, volant, régulateur à boules, etc.). (Sadi Carnot propose la théorie de la machine à vapeur en 1824 et montre que la différence de température est une source d’efficience). On pourra développer l’industrie textile, les chemins de fer, puis les bateaux à vapeur. La mécanisation du monde peut s’enclencher. Entre 1760-1800 et 1800-1830, la croissance globale annuelle passe de 0,3-0,5 % (selon les estimations) au triple (accord sur le triplement). Surtout la croissance industrielle double de 1,5 % à plus de 3 % par an. L’emploi industriel en Angleterre passe du tiers de l’emploi masculin en 1800 à la moitié en 1840.

De même, en 1733, le tisserand John Kay invente une machine à tisser qui permet de tisser des largeurs plus grandes et plus vite que les tisserands manuels. Le filage progresse en 1764 avec la machine à filer de Arkwright, la waterframe, qui permet aux ouvriers d’actionner huit, puis seize, puis soixante broches à la fois avec l’énergie hydraulique. La machine fait ensuite appel à la vapeur avec un perfectionnement apporté par Watt en 1777. L’industrie chimique permet ensuite le blanchiment au chlore, en 1774, grâce au procédé de Nicolas Leblé qui fonctionnait jusque là à la soude qui est plus rare. Les premières teintures chimiques sont inventées à partir du milieu du XIXe siècle. L’Angleterre va prospérer grâce à quelques secteurs (textile, sidérurgie, puis construction mécanique puis navale).

En un siècle, de 1780 à 1880, la société industrielle a remplacé la société rurale. Cette première révolution industrielle est dominée par les PME. Avec la deuxième révolution industrielle (électricité et moteur à explosion, chimie) apparaissent les grandes entreprises en Allemagne et les entreprises géantes aux États-Unis (sidérurgie, pétrole, électricité, transports, etc. ).

La révolution industrielle se maintient parce que la science prend ainsi le relais des intuitions des inventeurs pour systématiser le progrès accompli, ce qui fonde la thermodynamique (science qui traite les relations entre les phénomènes mécaniques et calorifiques).

Or la révolution industrielle va permettre de surmonter les prédictions de la loi de Malthus. La population anglaise double de 1800 à 1850 et le revenu s’élève de 10 %, ce qui est rendu possible par les exportations de produits industriels et notamment textiles pour importer des produits agricoles. Il faudra attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour que des engrais performants permettent d’améliorer la productivité agricole. Les exportations représentent plus de la moitié de la production industrielle anglaise dès 1830. Malthus est vaincu par l’échange international puis par le progrès technique. L’importance du charbon sur le sol britannique a contribué à cet essor.


Ingrédients de la révolution industrielle

État de droit, dont droits de la propriété et monopole de la violence légale par des États-nations qui investissent dans les infrastructures et l’éducation à partir du XVIIIe siècle ; inventions techniques systématisés par la science ; division du travail dans la PME (invention organisationnelle majeure) ; division internationale du travail basé sur l’échange ; sciences du management à partir du début du XXe siècle pour administrer les grandes entreprises.

Rôle central de l’entrepreneur et du lien inventeur – entrepreneur – financeur (IEF) dès le début de la révolution industrielle. La phase de la grande entreprise dans des économies nationales jusqu’en 1980 semble marginaliser le rôle du trio IEF avant qu’il ne retrouve un rôle clé à partir de la globalisation qui prend son essor dans les années 1980 avant de s’accélérer avec la révolution TIC dans les années 1990, les biotechs dans les années 2000 et les cleantechs dans les années 2010. Le trio IEM est remplacé par le quatuor inventeur – entrepreneur – facilitateur – capital-risqueur de l’EEC (économie entrepreneuriale de la croissance).


Révolution française et Révolution industrielle

La révolution française a bloqué le développement de l’industrie pendant une dizaine d’années par la fermeture des frontières et la désorganisation du pays. Elle a surtout conduit à l’émigration d’un nombre élevé d’entrepreneurs et d’ingénieurs. Elle a donc freiné l’essor de notre industrie au moment de son démarrage permettant à l’Angleterre de prendre un avantage décisif alors même que le développement des techniques était au moins aussi rapide en France qu’en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle.

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Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est docteur d'État ès sciences économiques et titulaire de deux masters en économie (London School of Economics et Carnegie Mellon University). Il a travaillé au Fonds Monétaire International (FMI) et à l'OCDE. Christian Saint-Étienne est l'auteur de plusieurs livres dont France état d'urgence (janvier 2013) et L'iconomie pour sortir de la crise (septembre 2013).