La révolution numérique est une chance pour l’inventivité et l’innovation  » à la française  » mieux valorisées.

Une révolution industrielle se déroule en deux temps. D’abord la maturation des techniques, jusqu’à ce qu’elles soient faciles à implémenter et à diffuser dans le tissu économique, puis la multiplication des usages.

Par Vincent Lorphelin, Michel Volle et François Bourdoncle
Le Monde, Cahier le Monde-Eco – 20 Février 2015, p.7

Aujourd’hui, à la vague informatique des années 1980 succède un tsunami numérique des usages – nouvelles façons de travailler et de consommer, nouveaux modèles d’affaires – que l’informatique a rendu possibles. Les enjeux ne sont donc pas de donner un coup de jeune à des vieux  » business models « , mais d’inventer de nouveaux usages.

Or, il s’avère que l’entreprise, qui invente un produit permettant un nouvel usage, se crée aisément un petit monopole sur ce produit : le marché obéit, en effet, au régime de la concurrence monopolistique. Ce régime est illustré par l’exemple de la vente de glaces sur une plage. Lorsque deux glaciers s’installent aux deux extrémités d’une plage, chacun est en situation de monopole de son côté : les vacanciers ne traverseront pas toute la plage pour acheter une glace de l’autre côté. En revanche, les vacanciers qui sont au milieu de la plage iront chez le moins cher des deux : il y a donc aussi une zone de concurrence.

Ce régime est exactement celui de l’économie informatisée. Sur le marché des systèmes d’exploitation, par exemple, Microsoft est concurrencé par Apple, Google, Linux. Pourtant, ces leaders sont en situation de monopole sur une grande partie de leurs marchés. Il en est de même pour les plates-formes comme Facebook, Amazon ou Uber. Ces situations de monopole leur permettent, dès lors, d’intégrer une chaîne de valeur complète, de la production à la relation avec le client. Fondée autant sur les usages que sur les technologies, la troisième révolution industrielle redéfinit ainsi entièrement le paysage concurrentiel.

Dans ce contexte, la France présente des faiblesses.

Premièrement, son tissu économique et sa croissance sont organisés autour des grands groupes du CAC 40. Or, ceux-ci ont du mal à imaginer des usages qui ne soient pas centrés autour de leur propre industrie. Deuxièmement, notre culture de l’innovation est principalement orientée vers la technologie, ce que soulignait avec justesse le rapport Morand dès 2009. Bpifrance traîne encore, par exemple, le lourd héritage de l’ancienne Anvar, agence de valorisation de la recherche, et non des usages. Troisièmement, tandis que la croissance des champions américains est financée par du capital-risque, les carences de notre modèle de financement contraignent nos champions nationaux BlaBlaCar ou Criteo à chercher leurs capitaux outre-Atlantique.

Une multidisciplinarité

Notre pays dispose néanmoins d’atouts solides. La formation des ingénieurs les dispose à une multidisciplinarité nécessaire et appréciée dans les filières fertiles en nouveaux usages. Pour les « data sciences « , il est par exemple nécessaire de combiner une base académique dans le domaine des sciences statistiques, la conception de modèles émergents comme le « machine learning « , ainsi que la pratique de l’informatique.

Il en est de même pour l’économie collaborative ou les objets connectés, dans lesquels nos start-up sont particulièrement prometteuses. Notre histoire porte, d’ailleurs, la marque de cette innovation « à la française ». Le cinématographe, inventé par les frères Lumière, s’appuie sur l’usage des techniques de la pellicule photo d’Eastman et de la machine à coudre de Singer, tous deux américains.

Les industries automobile et aéronautique, dont la France a été le pionnier, ont été fondées sur l’usage des moteurs à explosion allemands. La carte à puce de Roland Moreno était un usage original du microprocesseur. Il s’avère de plus que les inventions d’usage ont été consacrées en 2012 par la guerre des brevets, gagnée par Apple contre Samsung. Les brevets-clés, valorisés en milliards de dollars, étaient en effet des brevets d’usage, par exemple la fonctionnalité de zoom en écartant deux doigts.
Enfin, les organismes publics disposent de grandes bases de données que l’Etat peut décider de mettre à la disposition du public pour les valoriser à travers de nouveaux usages.

On souligne souvent le retard français, mais quelques initiatives vont indéniablement dans la bonne direction : le crédit d’impôt recherche a été complété en 2013 par un crédit d’impôt innovation, qui l’ouvre au soutien de quelques innovations d’usage ; les plans « Big Data » et « Open data », destinés à valoriser les données publiques par les usages, ont été lancés dès 2011 ; France Brevets et le Fonds souverain de brevets, dotés de 200 millions d’euros pour acquérir des inventions françaises, sont soumis à des obligations de rentabilité, ce qui va mécaniquement les orienter vers les brevets d’usage.

Ces initiatives dessinent une politique économique orientée vers « l’Iconomie », dans laquelle les données publiques, les sciences de l’ingénieur, l’inventivité et l’innovation à la française sont mieux valorisées au travers des usages.

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Vincent Lorphelin

Vincent Lorphelin a fondé Venture Patents. Cette société aide les startups et PME innovantes à protéger leurs innovations d'usage grâce aux brevets. Conférencier,  Auteur de six livres dont "La République des Entrepreneurs" (Fondapol) et "le Rebond économique de la France" (Editions Pearson) co-écrit par 85 entrepreneurs. Co-Président de l'Institut de l'Iconomie, et Fondateur du site les500.fr, palmarès des créateurs nets d'emplois.