Vous dites dans le Monde que, avec ses brevets, « la Chine menace le cœur de l’économie mondiale ». Pourquoi ?
La guerre des brevets a été déclarée le 21 septembre dernier par la Chine, qui veut contrôler les monnaies numériques. La banque centrale chinoise a dit, je cite « le droit d’émettre et de contrôler une monnaie numérique sera un nouveau champ de bataille entre les Etats ».
Pour être prise au sérieux, elle dévoile un portefeuille de « brevets couvrant toute la chaîne de production, d’émission et de circulation des crypto-monnaies » . C’est comme si aujourd’hui une puissance étrangère voulait contrôler la fabrication de nos euros, des cartes bancaires et des guichets automatiques. Ce serait inacceptable, mais c’est pourtant ce qui est en train de se préparer.
Pourquoi la Chine se concentre-t-elle sur les technologies des crypto-monnaies plutôt que sur la 5G ou les objets connectés ?
Xi Jinping vise le cœur de notre souveraineté économique. On a vu déjà que la ligne de front pour la suprématie mondiale s’est fixée sur les technologies stratégiques. On a vu aussi comment la simple annonce de la Libra de Facebook a fait trembler les Etats. Et il s’avère que le crypto-yuan a 4 ans d’avance sur le crypto-dollar et le crypto-euro. L’équation geo-politique s’écrit presque toute seule. Xi Jinping fait un discours sur l’importance de la blockchain puis la Banque de Chine lui emboîte le pas sur les monnaies numériques.
Or ces technologies ont une différence essentielle par rapport aux vagues technologiques précédentes. Non seulement elles reinventent un secteur, en l’occurrence le secteur bancaire mais, au travers de la monnaie, elles réinventent l’économie elle-même. Nos souverainetés monétaire et économique sont directement et explicitement visées par les brevets chinois.
Pourquoi la Chine choisit-elle les brevets plutôt que tout autre levier géostratégique ?
Les brevets sont comme des missiles nucléaires. C’est ce que disait Steve Jobs lorsqu’il a lancé sa guerre de brevets contre Samsung et Google. L’image est parlante : il n’existe pas de bouclier, c’est une menace ultime contre les entreprises. Il n’y a que des contre-offensives, missile contre missile.
Aujourd’hui la Chine dispose, Etat et champions réunis, de 4000 brevets contre 1000 dans le camp américain, et seulement 200 au niveau européen. Le rapport de forces est donc très favorable à la Chine, qui n’a aucune raison de se priver de cette opportunité.
Que devons-nous faire ?
La réponse la plus évidente, c’est de racheter des brevets. La réponse la plus intelligente, c’est de fabriquer des brevets. Cela coûte 1 million par brevet si on les rachète dans deux ans, 20.000 EUR par brevet si on les fabrique aujourd’hui.
Pour disposer d’une force de dissuasion intellectuelle à la hauteur des enjeux de la souveraineté européenne, nous avons besoin de 10.000 brevets d’usages par an pendant 10 ans, c’est-à-dire un investissement total de 2 milliards d’euros. Pourquoi 10 ans ? Parce que c’est le temps d’incubation nécessaire des brevets avant qu’ils arrivent à maturité, et deviennent rentables.
Qu’est-ce qu’un brevet d’usage ?
On confond souvent technologie de rupture et innovation de rupture. Internet est une technologie de rupture, Facebook est une innovation de rupture. De même il ne faut pas confondre brevet technique et brevet d’usage. Les brevets les plus stratégiques des GAFA, BATX et NATU, sont des brevets d’usage.
Souvenez-vous de la guerre des brevets entre Apple et Samsung. Apple l’a remportée, alors qu’elle disposait de 12 fois moins de brevets que son rival, grâce à ses brevets d’usage, par exemple de zoom en écartant deux doigts sur un écran tactile. Et il faut chercher les inventeurs des nouveaux usages là où ils sont : dans les startups de la French Tech.